Lorsque je la vois entrer dans le bureau, je suis comme tous les matins surpris par son visage lumineux. Caroline a ce petit quelque chose qui la différencie des autres, une sorte de joie de vivre qui contamine toute l’équipe.
Perchée sur ses hauts talons, elle a une assurance et une classe incroyables. Je décèle son regard espiègle derrière sa longue chevelure bouclée. Elle est d’humeur joueuse, elle n’a pas encore eu la mauvaise nouvelle.
Elle me lance un :
– Bien dormi, Don Juan ? La petite blonde avait l’air d’une humeur, comment dire…chaleureuse, hier soir, avant que vous ne quittiez le bar !
Elle se met à rire aux éclats, devant mon air gêné. Si elle savait, si seulement elle imaginait une seconde ce que je ressens pour elle… Je coupe court à ses moqueries en lui annonçant les événements du jour.
– nous avons un nouvel enlèvement d’enfant sur le dos et ça se corse… c’est à nouveau le gosse d’un collègue.
Instantanément, son regard s’assombrit.
– Nous avons des infos sur les kidnappeurs ?
– Le coup a été fait juste après le cours de natation du petit, une camionnette noire avec 3 types cagoulés et armés était postée près de la sortie. Ils devaient connaître les habitudes de l’enfant ! Deux d’entre eux ont bondi de la camionnette et tenu en joue la grand-mère, en lui disant que si elle bronchait d’un poil, ils exploseraient le gamin… Ils avaient l’air de professionnels, ils ont réussi leur coup en moins de 45 secondes !
– Et le collègue, on a des infos ?
– C’est Jeremy, Caro !
– Putain ! Il est où, là ?
– Il a été écarté, l’équipe de psys se charge de lui. Il était sur le point de péter une
case !
– Bon sang, Lorenzo, on a des gars qui s’en prennent à nos gamins, nous sommes devenus des cibles et quelqu’un prend nos enfants en otage ! Faut qu’on se bouge !
La sonnerie du téléphone retentit, Caroline décroche. Je vois son regard se durcir. De nouvelles informations nous arrivent de nos supérieurs…
Un message clair a été déposé à la PJF : « Le temps est venu… Vous allez payer pour vos péchés ! Vos enfants seront les sacrifices qui serviront à laver vos âmes ! »
Ce n’était donc pas un hasard si les enfants enlevés étaient ceux de policiers. Mais pourquoi s’attaquer à l’institution policière, quelles étaient exactement leurs motivations ?
Quoi qu’il en soit, le temps nous est compté, il faut faire au plus vite. Les gamins, s’ils sont encore en vie, sont sur la sellette.

Cela fait plusieurs jours que nous décortiquons cette sombre affaire sans relâche et nous avons bien une piste qui s’éclaire peu à peu.
Martin et Miguel étaient depuis un bon moment sur un dossier assez conséquent, concernant un groupe religieux discret jusque-là. Depuis quelques mois, ils avaient constaté des allées et venues fréquentes, dont certaines étaient suspectes.
Les collègues avaient en effet remarqué plusieurs véhicules immatriculés à l’étranger, dont une camionnette noire aux vitres teintées, qui pourrait correspondre à la description de la camionnette des kidnappeurs. La plaque d’immatriculation ne correspond pas, mais celle relevée le jour du kidnapping était après vérification fausse.
Caroline et moi décidons d’aller sur place vérifier la concordance de nos indices.
Arrivés à l’adresse indiquée par nos collègues, Caroline propose que l’on gare notre véhicule en contre-bas de la rue pour rester discret et que l’on fasse le tour du terrain.
Terrain surplombant ce qui ressemble à une sorte de bunker gardé par deux hommes en tenue kaki. Un 4×4 gris sur la gauche du bâtiment, deux camions face à l’entrée, une berline sur la droite et deux motos adossées à la façade. Nous sommes là depuis plusieurs minutes lorsqu’une certaine agitation nous indique que quelque chose se trame.
Surpris par le vibreur de mon téléphone, je sursaute. C’est Martin, qui m’apprend que la fille d’un collègue de la zone ouest venait à son tour d’être kidnappée ! Toujours trois hommes dans une camionnette, mais rouge cette fois-ci.
Juste à ce moment, je vois une camionnette ressemblant à la description s’engager dans la propriété. Nous allons devoir intervenir immédiatement ! Les deux hommes en kaki ouvrent la porte du garage pour y laisser entrer la camionnette. Un seul regard à Caroline suffit pour savoir que nous sommes d’accord. C’est maintenant qu’il faut agir, pas le temps d’attendre les renforts !
Comme les gardes rentrent dans le bâtiment, Caroline et moi, nous glissons discrètement dans le garage dont la porte se referme derrière nous. Le véhicule suspect s’est enfoncé dans l’obscurité, mais j’entends avec stupeur les cris d’une gamine qu’ils emmènent.
Nous longeons les autres véhicules garés et réalisons que le nombre de personnes impliquées est très important… Je prends le temps de communiquer le plus d’informations possibles aux collègues pendant que Caroline inspecte les lieux.
Sur la gauche, il y a une porte donnant a priori sur le rez-de-chaussée. Sur la droite, un escalier menant vers le bas du bâtiment. Des cris d’enfants terrorisés semblent venir du sous-sol.
La situation est risquée, mais, sans un mot, nous décidons de poursuivre nos recherches sans attendre les renforts. L’escalier nous mène dans une sorte de labyrinthe de pièces plus obscures les unes que les autres. Dans l’une des pièces, je découvre des tas de caisses en carton. Sur l’une d’entre elles est inscrit « 2014 »
Je jette un coup d’œil à l’intérieur et découvre quelques uniformes de police, de fausses cartes de service ainsi que plusieurs registres remontant jusqu’à début 2014. Apparemment, ils avaient infiltré nos services et pris des informations sur une partie du personnel, depuis un bon moment déjà !
Caroline, quant à elle, choisit de rester dans le couloir pour essayer de trouver d’où provenaient les cris des enfants.
Soudain, des bruits de pas dans l’escalier m’alertent de l’arrivée de plusieurs personnes. Planqué dans le fond de la pièce, je peste contre Caroline de ne pas être restée ici et prie pour qu’elle ne se fasse pas surprendre.
J’entends maintenant leurs voix… ils sont dans la pièce juste à côté. Ils parlent de ce qu’ils comptent entreprendre.
– Je m’occupe de la caméra comme prévu et toi Driss, tu suis le plan à la lettre. Tu mets la cagoule et tu prends le gamin. Tiens le bien fermement, il va se débattre, c’est un petit coriace, je l’ai vu à l’œuvre ! Essaie de faire en sorte qu’il reste bien dans le champ de la caméra, faut qu’on voit clairement lorsque Adam lui tranchera la gorge !
Mon sang se glace…, ils ne peuvent pas faire ça ! Il faut qu’on parvienne à mettre les mômes en sécurité le temps que les collègues arrivent !
Je les entends se préparer et faire ce qu’il me semble être une prière ou une incantation dans une langue que je ne comprends pas. Ils doivent être cinq, mais je n’en suis pas certain… Le temps me semble interminable, je suis coincé dans cette pièce qui me semble devenir peu à peu un cagibi, sans pouvoir bouger d’un pouce, à cogiter sur nos chances de mettre les gosses en sécurité en attendant l’arrivée des collègues.
Une fois leurs préparatifs terminés, les hommes quittent le local. Je sors rapidement et me retrouve dans un couloir lugubre sans un signe de Caroline. Pas le temps de réfléchir, je me précipite vers un escalier exigu qui me mène à l’arrière d’une sorte de cavité. Soudain, j’entends des bruits assourdissants, je me retourne et vois Caroline, avec deux des gosses apeurés, cachés derrière elle. Elle échange des coups de feu avec un homme. Je crie « Police, lâchez votre arme ! », ce qui surprend le gars et fournit l’occasion à Caroline de s’échapper avec les enfants. L’homme dirige son arme vers moi et sans plus attendre, je tire et le vois s’effondrer.
J’essaie de retrouver Caroline dans ce labyrinthe de caves qui me semble démesuré et c’est en entendant un léger reniflement, que je m’arrête brusquement. Ils sont là, tous les trois, planqués derrière cette porte.
Je chuchote :
– Caro, c’est moi, ouvre ! La porte s’ouvre légèrement et je vois le visage de la petite fille apeurée me suppliant de l’aider. Caroline est à terre, je vois du sang couler de sa cuisse.
Elle est blessée, mais en vie.
-Lorenzo, j’ai entendu ce qu’ils allaient faire aux petits, j’ai pas pu attendre, tu comprends ?
-T’inquiète pas Caro, Je sais que tu as fait ce qu’il fallait !
– Je les ai entendus, et j’ai vu un des gars, Lorenzo… C’était Jeremy, il est l’un des leurs !
Je n’en reviens pas… Jeremy a mis en scène toute cette horreur, il fait partie de leur groupe !
Caroline saigne énormément, je comprends que son artère doit être touchée. Elle me fait signe de m’approcher et me murmure :
– Je suis désolée… Lorenzo…
– Caro, s’il te plaît, tiens bon, les collègues sont juste là, dehors, ils vont arriver !
Le sol autour d’elle devient de plus en plus sombre. Son sang s’engouffre dans la terre de cette cave lugubre. Ses yeux me fixent et je peux apercevoir cette fierté qu’elle avait quelques fois lorsque nous arrivions à boucler une affaire.
-Ils sont sauvés, hein, dis-moi ? On les a sauvés ?
-Tu les as sauvés Caro, tout va bien se passer pour eux maintenant.
Je n’arrive pas à détacher mes yeux des siens, je voudrais tellement la retenir, la garder auprès de moi…
-CAROLINE ! Son visage s’éteint peu à peu. Je vois ses lèvres murmurer quelque chose et approche mon visage du sien pour essayer de l‘entendre.
Mon cœur se brise lorsque de son dernier souffle, elle me glisse
– Je t’aime…
Son regard, toujours fixé sur moi, perd cette lueur, cette vie. Elle est partie.
Je ferme ses paupières et pose sur ses lèvres un baiser.
Je prends les deux gamins par la main et les emmène vers le fond de la pièce, les calant bien contre moi pour les rassurer.
Je dois trouver un endroit où ils seront plus en sécurité. Je regarde leurs visages, ils sont terrorisés, mais il va falloir que je les laisse ici à couvert le temps de déceler une issue. Je leur dis de ne pas bouger et place tout ce que je trouve dans la pièce, sacs, cartons, autour d’eux pour les dissimuler.
J’ouvre la porte discrètement et m’engouffre dans le couloir sans attendre. Après plusieurs minutes, j’arrive devant une sorte de galerie où il me semble sentir un vent frais. Il doit y avoir un passage par ici ! Je décide d’y jeter un œil et découvre un soupirail donnant sur l’extérieur du bâtiment. Je vois que les renforts sont là, qu’il ne s’agit plus que de quelques minutes avant l’assaut. Et cette issue sera notre sortie de secours.
Je fais demi-tour pour aller récupérer les petits, mais me retrouve soudain avec le canon d’un glock entre les yeux. Mon sang ne fait qu’un tour, je ne vais quand même pas crever ici !
C’est Jeremy me regardant le sourire aux lèvres :
-Où as-tu planqué les moutards, Lorenzo ?
Il faut que je gagne du temps si je veux garder les enfants en vie !
-Pourquoi, tu fais ça, Jeremy ? Ces pauvres gosses ne t’ont rien fait !
-Tu crois que ça s’arrête juste à des enfants ? Nous sommes guidés par notre maître Sinan. Il est le seul à entendre la voix du tout-puissant. Il guide nos pas sur le chemin du pardon. Seules la peur et l’insécurité régneront sur le monde des mécréants. Si l’institution censée protéger et faire respecter la loi, a elle-même peur et ne peut sauver ses propres enfants, le peuple terrorisé se pliera à la puissance de notre créateur !
Jeremy semble complètement endoctriné, il répète ces mots comme une prière. C’est alors que j’entrevois une chance qui s’offre à moi, il est comme en transe et n’est plus du tout concentré sur son arme. C’est le moment idéal pour tenter le tout pour le tout. Je lui donne un coup sur son avant-bras avec ma main, ce qui dévie son arme, et lui envoie de toutes mes forces un coup de pied dans les côtes, le déstabilisant et faisant valser son arme à terre. Il bondit sur moi, me saisit à la gorge et serre mon cou de toutes ses forces pour m’étrangler. D’instinct, je sais que je veux vivre, je n’ai plus rien d’autre en tête. Je lui donne un coup de genou dans l’entrejambe qui le laisse plié en deux de douleur, mais, le temps que je puisse reprendre de l’air et déjà, je vois la lame qu’il dirige vers moi s’enfoncer dans mon épaule. La douleur est fulgurante, je sens la lame racler l’os. C’est lui ou moi, il s’agit de survie ! La douleur m’oblige à me concentrer. Je lui donne un coup de pied dans le ventre qui l’envoit s’étaler sur le sol. J’arrache la lame de mon épaule et sens la rage s’emparer de moi. Je le saisis par les cheveux, tire sa tête vers l’arrière et enfonce la lame dans sa gorge.
Je vois son regard se vider et sens le liquide chaud qui jailli de sa carotide, couler sur ma main.
Je sens l’adrénaline à son paroxysme, je lâche son corps inerte et me mets à courir aussi vite que je le peux pour rejoindre les enfants.
En ouvrant la porte de la pièce où je les avais laissés, je prie pour qu’ils soient toujours en vie.
Ils sont là, se cramponnant l’un à l’autre pour se rassurer.
Je leur dis de me suivre, que j’ai trouvé une sortie.
Arrivés dans la galerie, une grande explosion retentit… je comprends que ce sont les collègues qui débarquent pour mettre un terme à ce calvaire.
La sortie n’est désormais qu’à quelques pas de nous, je peux déjà apercevoir la lumière inondant le soupirail et appelant la fin de cet enfer.
Les enfants sont sauvés… Mais je ressens un vide immense … Caro est partie !
Tenny